Marquant une rupture avec les précédents, ce billet musical se veut différent des autres. Il ne s’agit pas ici de présenter un disque ou de puiser dans ma mémoire musicale pour vous la partager. Au contraire, je relate ici un événement encore tout frais dans ma mémoire puisque je viens de le vivre : le concert du Tedeschi Trucks Band à l’Olympia ce lundi 28 avril.
Nos vies sont traversés par des moments d’exception qui jalonnent notre histoire musicale. Bien que je sois toujours sensible à ces moments particuliers que constituent tout concert, les deux heures de musique que Derek Trucks, sa femme Susan Tedeschi et les neufs musiciens qui les accompagnent ont prodigué à une assemblée conquise n’est pas prêt de s’effacer.
C’est une quasi gageure, non seulement de retranscrire une émotion musicale, mais plus encore dans le contexte d’un concert. Cependant, je vais m’atteler, tant bien que mal, à cette tâche.
Le titre de ce billet résume, il me semble, la tonalité générale de ce concert : cohésion du projet musical, cohésion entre les musiciens et cohésion avec le public.
Cohésion du projet musical tout d’abord, car ce groupe est né de la rencontre de Susan Tedeschi et Derek Trucks. Leur union, dans la vie, se concrétise également dans la musique de belle façon. Ils sont proches et complémentaires. Durant tout le concert, le relatif effacement physique de Derek répondait à la présence vocale et corporelle de Susan. Il va sans dire que la voix de Susan et la guitare de Derek s’entremêlent manifestant de façon éloquente cette cohésion. Les autres musiciens sont associés étroitement à ce projet musical. Cela s’est exprimé, tout au long du concert, par les interventions de chacun. Jamais un instrument ne vient se confronter à un autre ou disputer sa place. Tout simplement, chacun vient se disposer dans le paysage sonore pour apporter sa couleur propre. La base de la musique, c’est le blues; mais il faut ajouter à cela d’autres influences qui vont de la soul au funk en passant par le rock et même le jazz. Loin d’être composite, cette musique se trouve plutôt enrichie. L’auditeur va se surprise en surprise. Moi même, malgré ma connaissance des disques du groupe, je fus, à plusieurs surprises, agréablement bousculé par une rupture dans un morceau ou l’intervention inattendue d’un musicien.
À la cohésion du projet musical, il faut ajouter la cohésion entre les musiciens. Nous connaissons tous ces morceaux trop policés ou chaque instrument vient chacun à son tour sur le devant de la scène tandis que les autres se tiennent en retrait. Au contraire, le concert d’hier soir donna l’occasion, de nombreuses fois, à des duos ou des trios entre instrument et/ou chanteurs. La complicité entre les musiciens est papable. Cette proximité permet à chacun de donner le meilleur de lui-même. Bien entendu, le plus notable est certainement le jeu de slide guitare de Derek Trucks. Dire qu’il fait chanter sa guitare n’est pas seulement une belle image un peu éculée, mais une réalité. Sa façon de jouer est, en même temps, enlevée et lyrique, parfois quasiment fougueuse et à d’autres moments paisible et douce. La voix chaude de Susan fait merveille. À plusieurs reprises, elle fait aussi entendre un solo de guitare. Le groupe comprend également deux choristes, Mark Rivers et Mike Mattison, qui plusieurs fois chantent des partis solos ains qu’un bassiste, Tim Lefebvre. Tout ceci peut sembler très classiques, mais la liste des autres membres manifeste la particulière originalité de ce groupe. Il compte dans ses rangs deux batteurs, Tyler Greenwell et J.J. Johnson; un claviériste (piano et orgue hammond) et flutiste, Kofi Burbridge; et trois cuivres, Kebbi Williams au saxophone, Maurice Brown à la trompette et Saunders Sermons au trombone.
Chacun sait, à l’occasion, sortir des sentiers battus. À titre d’exemple, je souhaiterais citer un passage très particulier du concert où Derek Trucks part dans un solo de plus en plus débridé. Nous sommes alors loin d’un blues électrique classique. Certaines sonorités et la façon d’avancer dans son discours musical me fait même un peu penser à certains solos de John Coltrane. Cela n’est pas un hasard, mais s’explique par l’éclectisme musical du groupe et tout particulièrement de Susan et Derek. Ainsi, même si cela peut sembler une anecdote, leur fille porte comme second prénom Naïma, composition de John Coltrane et prénom de la première épouse de ce grand jazzman.
Je sens bien que mes mots sont impuissants à traduire la grande qualité de ce concert. Pour vous donner, non un regret de ne pas y avoir assisté, mais le désir de vous plonger dans les deux disques studios et le disque en concert de ce groupe, je vous propose de regarder ce concert enregistré en 2012 : la magie est déjà là.
Mots-clefs : Derek Trucks, l'Olympia, Susan Tedesch, Tedeschi Trucks Band