Sorti ce lundi, le dernier album de Daft Punk, Random Access Memories, est déjà en tête des ventes sur la plupart des plateformes de vente de musique en ligne. Beaucoup a déjà été écrit sur cette œuvre du duo français qui, notons-le, n’est que leur quatrième œuvre en seize années de carrière. J’ai pu lire des propos excessifs. Certains ont crié au génie et d’autres ont qualifié les treize morceaux de cet album de « musique d’ascenseur » (sic.).
Avant de te perdre lecteur, car tu peux être tenté de ne pas aller plus loin, je te propose de sortir des sentiers battus comme le suggère le titre de mon billet qui fait aussi un petit un clin d’œil à la musique de Daft Punk qui a d’abord fait son succès sur les pistes de danse.
Je le proclame sans gène, je ne connais rien à la dance, la techno ou l’electro selon le qualificatif habituellement pour ce type de musique. Pire, ce genre musical ne m’attire pas. En revanche, mes gouts musicaux sont des plus divers allant de la musique classique depuis le baroque jusqu’à Schoenberg jusqu’au rock tout en passant par le jazz, le blues ou le tango. Mon introduction est longue, mais elle vise à t’inviter, amis lecteur, à écouter la musique de Daft Punk en gardant à l’esprit, ainsi qu’à l’oreille, toute cette culture musicale à peine évoquée à l’instant. Je pars d’un présupposé qui se vérifie à l’écoute de la musique du duo français : ils ont une grande culture musicale et celle-ci transparaît dans leur œuvre.
Arrêtons là ce long préambule et entrons dans cet album qui m’a plu, tu t’en doutes cher lecteur.
Ce qui me marque en premier, c’est l’usage que fait Daft Punk de la Musique. J’utilise ici une majuscule, car il ne s’agit pas de notes, de rythme ou de silence ; mais d’un tout. Ils traitent la musique comme une matière, tel un potier avec l’argile, un sculpteur avec la pierre ou un photographe avec la lumière sur le monde qui l’environne. Il y a une vraie recherche plastique dans le son très proche de celle d’un chef d’orchestre dans certains mouvements symphoniques, de Miles Davis ou de Pink Floyd pour donner trois exemples très distants les uns des autres. Ce sentiment se fait jour dès l’écoute du premier morceau, Give Life Back to Music, même si d’autres morceaux vont bien plus loin dans ce traitement du son. Je mets en garde ceux qui écouteront ce disque : faites-le avec un bon casque ou sur une bonne chaine hifi et laissez de côté les mp3 à 128 kbit/s !
Ce côté physique de la musique se retrouve dans l’usage de la voix souvent déformée pour devenir plus palpable tel le son d’un saxophone. Le second morceau, The Game of Love, illustre cela. Enfin, la musique semble devenir un matériau que l’on peut déformer à l’envi tel le final de Motherboard, celui de Contact qui clôture l’album ou Giorgio by Moroder.
La musique électronique est souvent accusée d’être froide. Ici, c’est tout le contraire. Giorgio by Moroder en est un très bon exemple. Il est vrai que les instruments électroniques se mélangent aux instruments plus traditionnels tels la guitare électrique, la basse ou la batterie.
Il n’y a pas que cet aspect quasi sensuel de la musique qui apparaît à une écoute attentive de cet album. Le mélange des genres est également frappant. Les cordes, présente notamment dans Giorgio by Moroder ou Beyond, vont coexister avec un piano quasi jazz dans Within. Ce même morceau comprend des contrechants qui rappellent la pop anglaise des années 60.
Bien sûr, un certain nombre de canons, propres à l’électro, sont conservés tels une certaine répétitivité, des rythmes très binaires ou des mélodies qui pourront être qualifiées de simplistes. Instant Crush Lose Yourself to Dance, Fragments of Time ou Get Lucky sont des bons exemples de ce constat tout en gardant cet aspect très charnel de la musique.
Plusieurs morceaux touchent par la qualité de leurs mélodies qui développent une forte dimension sensible tels The Game of Love, Within et surtout Beyond. La beauté de ce morceau provient, en bonne partie, de la richesse de son arrangement.
J’arrive ici, cher lecteur, au second élément particulièrement séduisant de cet album ; le premier étant le côté plastique de la musique. Il s’agit, en l’occurrence, de la construction des morceaux. À plusieurs reprises, j’ai eu le sentiment d’être pris dans une histoire. Tels une nouvelle ou un roman, certains morceaux de cet album ont une construction particulièrement élaborée avec des ruptures et des contrastes qui constituent autant de rebondissements. Beyond, Motherboard et Contact font partie de ceux-ci, mais les deux exemples majeurs sont certainement Giorgio by Moroder et Touch. Ce sont les deux morceaux les plus longs de l’album : respectivement 9 min 5 s et 8 min 19 s. Cette relative longueur permet des développements particuliers avec ces fameux rebondissements que j’évoquais à l’instant.
Cet album n’est pas parfait et de toute façon il est trop tôt pour donner un avis définitif. Il n’en demeure pas moins qu’il recèle de nombreuses qualités et qu’il est truffé de références musicales les plus diverses. Certaines parties de clavier font presque penser à des préludes pour l’orgue de Bach quand d’autres passages oscillent entre Pink Floyd et Supertramp tandis qu’une trompette fait penser brièvement aux orchestres de Count Basie ou de Carla Bley. Je pourrais citer beaucoup d’autres références ou clins d’œil. Je ne veux pas comparer Daft Punk aux artistes précités ou d’autres, tout aussi prestigieux, mais revenir sur les propos présents dans mon introduction. La culture musicale de ces deux hommes est très grande et parsème leurs morceaux. Je crois qu’une écoute avec ces références musicales à l’esprit ne peut être que profitable.
Je cesse ici mon propos pour inviter tout un chacun à (ré) écouter cet album. Lecteur, si tu ne connais pas cette musique, prends un moment pour l’aborder sans préjugé. Si tu as été déçu, parce que tu attendais autre chose, réessaie ; là aussi sans idée préconçue. Dans les deux cas, cela en vaut la peine.
Mots-clefs : Daft Punk, DaftPunk, Dance, Electro, Random Access Memories, Techno