Le Bloc Note

Montre l’utilité !

28Mai

Est-ce utile ? Cela va-t-il m’apporter quelque chose de nouveau ? Cette question ordinaire anime régulièrement nos vies, et ce, plus encore, lorsqu’un nouvel objet ou une nouvelle pratique surgit. L’arrivée des « montres intelligentes » ou smartwatch, selon le terme anglais, suscite, ainsi, les réactions les plus diverses. Cet objet est mis sous les feux de la rampe, dans le monde de l’électronique grand public, après les téléphones et les tablettes.

Tandis que certains manifestent une attitude d’inintérêt, voire un comportement de rejet face à un objet jugé inutile. D’autres, en revanche, expriment un véritable enthousiasme désireux d’obtenir, au plus vite, l’objet tant convoité. Ces derniers justifient leur attrait à l’aide d’arguments variés allant de l’objet de mode jusqu’à un accès facilité à l’information en passant par un suivi de leur santé ou une communication facilitée.

Mon propos n’est nullement ici de prendre parti, mais plutôt de m’arrêter sur la réflexion sous-jacente qui anime la prise de position de chacun face à ce nouvel objet et que j’ai évoqué au début de ma réflexion : l’utilité. De façon plus abrupte, il me semble que le critère d’utilité, souvent pertinent, peut, dans certains cas, être inefficace ou même nuisible.

Pour expliciter ce point de vue, je propose ici trois exemples. À travers ceux-ci, je marquerai un mouvement allant d’une situation, avant-tout, matérielle à des questions plus spirituelles. Ces exemples ne font qu’effleurer de grandes notions pour illustrer ma réflexion sans vouloir, aucunement, les traiter pour elles-mêmes.

 

Danseuses habillée en orange

Prenons, tout d’abord, le cas de l’habillement. C’est la fonction utilitaire qui prédomine ici. Ainsi, choisissons-nous un habit léger en été ou une tenue la plus en adéquation avec le sport pratiqué. Cependant, nous choisissons souvent avec grand soin ce que nous allons porter en prenant en compte des critères qui n’ont que peu de rapport avec la praticité ou le type d’activité à venir. Certains rétorqueront que l’apparence que nous recherchons a des aspects pratiques ; une rencontre importante nous donnant l’occasion de choisir précisément les habits que nous souhaitons revêtir. Sans même prendre l’exemple de la haute-couture, il est certain que nous projetons dans le choix de nos vêtements une part de nous-même ; que cela touche à la perception que nous voulons donner de notre personne, notre manière d’entrer en relation avec les autres ou tout simplement nos goûts. Vouloir appliquer uniquement des critères d’utilité dans notre habillement serait vite perçu comme un carcan. Il suffit de regarder l’adolescent s’attacher à une façon de s’habiller. Dans ce mouvement se joue une affirmation de lui-même et une volonté de dire « je ».

Regardons, ensuite, l’activité artistique. Vouloir appliquer l’utilité comme critère de jugement serait, non-seulement, stérile, mais également destructeur. Les mouvements qui animent l’artiste lorsqu’il créent sont nombreux et parfois obscurs ; cependant ils n’en demeurent pas moins très éloignés d’une telle perspective. Nous pouvons, avec certitude, affirmer que l’artiste poursuit une quête du beau. Quelque-soit son art, il cherche à exprimer cette beauté qui ne cesse de le fuir. En ce sens, il s’agit d’un perpétuel mouvement où la beauté, par l’acte créatif, constamment se dévoile et qui est toujours au-delà des jalons posés par l’artiste. Celui-ci nous propose un chemin où nous pouvons nous engouffrer pour partager, avec l’auteur, cette beauté qui se dévoile sous nos yeux. Ce parcours que vivent, non-seulement le créateur de l’œuvre, mais aussi ceux qui se mettent à sa suite ne vise pas l’utilité bien que cette quête soit profondément nécessaire à l’homme.

 

Violoniste prise de dos

Enfin, arrêtons-nous un instant sur l’amitié ; ce sentiment si grand et pourtant impossible à percevoir matériellement. Au cours de sa vie, l’être humain perçoit, avec une acuité de plus en plus marquée, la gratuité qui est au cœur de ce lien affectif. Un souffle profond anime la relation d’amitié entre deux être sans que ceux-ci puissent la toucher ou la définir précisément. Je ne nie pas que les plus belles relations d’amitié recèle une part d’utilité. Tel ami vient nous apporter une aide précieuse, parfois matérielle, qui nous permet littéralement de nous sortir de l’ornière. Cependant, nombreux sont les moments où nous mesurons que les liens d’amitié que nous avons tissés dépassent cette réelle utilité. Ce qui rend ce lien si mystérieux et si grand, c’est le dépassement de la nécessité qui affecte de nombreux pans de notre vie.

À travers ces trois exemples, très brièvement présentés, je n’ai pas souhaité faire un éloge de l’inutilité, mais seulement montrer la limite de l’utilité. Que pouvons-nous conclure ? Le critère de l’utilité est nécessaire individuellement et collectivement pour avancer et faire des choix. Ce critère doit cependant être borné pour laisser une place à l’inutile ou plutôt la gratuité. Un élément fondamental de notre humanité, c’est notre capacité à ce non-indispensable, à ce choix radical de la non-efficacité qui est le plus sûr ferment de notre croissance. La gratuité édifie notre être et l’amène à son achèvement.

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Une réponse à “Montre l’utilité !”

  1. Sherin dit :

    Réflexion intéressante. L’utilité et l’inutilité semblent être indissociables. On peut trouver une utilité tout à fait justifiée (certes, toujours discutable mais réelle) à la montre connectée, à un événement artistique (un spectacle par exemple) et à une relation amicale. Mais il semble s’ajouter une part de gratuité et d’inutilité qui pourrait apporter une satisfaction ou une joie, un loisir ou une distraction. Le seul caractère utile prendrait un côté exclusivement pratique. La part inutile ajoute un « plus » qui pourrait s’apparenter au plaisir, à la détente et le contentement de posséder tel objet ou d’avoir vu tel spectacle.