Le Bloc Note

Du neuf et de l’ancien

20Mai

Donnez à un enfant de dix ans une cassette ou une pellicule photo. Demandez-lui à quoi servent ces objets qu’il tient en main. Il sera bien en peine pour vous répondre. Des vidéos montrent sur Internet ces rencontres étranges entre des objets qui ont plusieurs dizaines d’années et des enfants nés bien après la période de plein usage de ces objets.
Je fais partie de cette génération qui a connu par ses parents les disques microsillons, qui a utilisé durant sa jeunesse des cassettes, qui est passée naturellement au CD pour utiliser majoritairement aujourd’hui de la musique dématérialisée.
Je fais partie de cette génération qui a pratiqué la photo argentique étant jeune. J’ai même développé mes films et réalisé des tirages en noir et blanc dans ma salle de bain. Maintenant, j’utilise la photo numérique et bénéficie des facilités offertes que cela soit au moment de la prise de vue où il n’est pas nécessaire de songer à prendre suffisamment de pellicules pour une sortie photo ou pour l’étape suivante pendant laquelle l’usage de logiciels performants permet des résultats inenvisageables sous l’agrandisseur.
Je fais partie de cette génération qui a abandonné presque totalement la télévision pour s’informer par Internet, passant de trois chaines reçues sur le poste familial dans l’enfance à un accès quasi illimité à l’information depuis son ordinateur, sa tablette ou son portable.
Je fais partie de cette génération qui, enfant, manipulait de nombreux livres et qui maintenant lit sur une tablette ou une liseuse même si la lecture sur support papier reste présente.

Page d'un livre

Cette accumulation d’exemple veut seulement montrer le changement immense apporté par l’évolution de ces dernières années. Il ne faut pas se méprendre ; nous avons assisté à une véritable révolution à l’échelle de l’histoire. Alors qu’une peinture rupestre de la préhistoire et un tableau d’un peintre contemporain ont pour point commun essentiel l’existence d’un support concret auquel ils sont attachés, la création graphique réalisée sur un ordinateur est fugace et peut être transférée en un instant à un ordinateur situé de l’autre côté de la Terre tout en étant supprimé de son support d’origine ou bien reproduite à l’infinie sans que l’élément de départ en soit affecté.

Il n’y a pas de nostalgie dans mon propos quand je cite ces exemples dans le domaine de la photographie, de la musique, de la télévision ou de la lecture. Ma réflexion est née de ma pratique récente en matière de lecture. Je lis toujours beaucoup et je me rends compte que je lis plus souvent sur écran que sur papier. Même si je continue à manipuler des livres et des revues, j’apprécie la lecture d’articles sur Internet ou de livres sur mon Kindle. Mon évolution est-elle inéluctable ? Dans la lecture, comme dans tant d’autres domaines, le camp des anciens, attaché à la matérialité des choses, s’opposerait-il au camp des modernes passé du côté de l’immatérialité ? Après ma génération, passée d’un camp à l’autre, les suivantes percevraient le camp de la matière comme un domaine du passé que l’on aborde à la façon d’un visiteur dans musée. Devant ce mouvement jugé inexorable par le plus grand nombre, quelques-uns se réfugieraient alors dans la matière, dans tout ce qui est palpable en rejetant ce qui est suspecté de modernité.

Détail d'une liseuseCette opposition me semble particulièrement stérile. Mettre en lumière ce passage du matériel à l’immatériel invite plutôt à faire un usage raisonné de l’un et de l’autre.
Nous connaissons les nombreux avantages apportés par le numérique (je sais bien que l’analogique avait déjà apporté une dimension immatérielle, mais il faut reconnaître que celle-ci est représentée aujourd’hui par le numérique, l’analogique a constitué une étape intermédiaire). Il n’est pas nécessaire d’en faire ici la liste. Cependant, tout ce qui est matériel peut s’adresser vraiment à tous nos sens. Il en va ainsi du touché.
Je peux accéder à une bibliothèque quasi infinie grâce à mon Kindle, mais un véritable plaisir se dégage de la lecture d’une revue telle que XXI dont j’ai parlé dans un récent billet. Une photothèque de plusieurs dizaines de milliers de clichés tient aisément dans un tout petit disque dur, mais rien ne peut remplacer un beau tirage accroché à un mur. Ce second exemple peut sembler moins pertinent que le premier, car personne n’imagine mettre ses mains sur des photos encadrées. Cependant, celles-ci conservent quelque chose d’unique qu’une photo sur un écran ne peut apporter.

En guise de conclusion, je vous propose cette position qui me semble la plus équilibrée : continuons à utiliser ce que nous apporte la technologie en faisant un bon usage des « vieilles recettes » toujours au goût du jour. Autrement dit, il s’agit de développer une attitude raisonnée en utilisant au mieux les outils que nous avons à disposition. Nos meilleurs juges en la matière seront nos cinq sens. Il serait dommageable d’en laisser un ou plusieurs au repos forcé. Au contraire, faisons les travailler !

Sculpture en bois représentant un homme entrant dans un livre
Si l’usage de la vue et de l’audition semblent couler de source, n’oublions pas les trois autres sens. J’ai déjà mis en avant le touché en prenant les livres pour exemple. L’odorat peut faire aussi partie de la fête. Reprenant mon exemple de la lecture, on doit reconnaître qu’un livre dégage de son papier un parfum particulier. Les vieux livres recouverts de cuir apportent encore d’autres fragrances. Pour le goût, c’est la nourriture qui vient naturellement à l’esprit et avec raison. Les milliers de recettes qui s’étalent sur nos écrans nous invitent à entrer en cuisine. D’immatérielle, la recette devient concrète pour nos papilles sans oublier notre odorat et notre vue et même notre toucher si nous avons mis la main à pâte.
Sachons basculer constamment de l’immatériel au matériel dans un mouvement d’aller et retour où nous sommes capables de prendre le meilleur des deux mondes pour le bien de nos sens. Usons du neuf et de l’ancien !

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2 réponses à “Du neuf et de l’ancien”

  1. Sherin dit :

    J’utilise un smart phone ou une tablette comme un outil de consultation d’informations. Je peine à lire un livre dans son intégralité sur tablette. Certes, il y a cette possibilité incroyable d’avoir des centaines ou milliers de livres sur un objet légers, mais une difficulté, une fatigue oculaire se présente à la lecture d’un livre contenant de nombreuses pages (un roman par exemple).

    • Marc dit :

      C’est pour cela que j’apprécie la liseuse dont l’écran est beaucoup plus reposant que la tablette. C’est aussi agréable à lire qu’un livre.